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LES VARIANTS DU VIRUS ENTREPRENEURIAL

Les vrais entrepreneurs se révèlent dans les ruptures. Soit ils les créent eux-mêmes: on pense à la Ford T, au Ski-Doo ou à une entreprise comme SpaceX, pensés par des perturbateurs visionnaires. Soit ils subissent des chocs exogènes, qui découlent souvent d’innovations technologiques, comme la machine à vapeur, la domestication de l’électricité ou Internet. Mais ces chocs peuvent aussi découler de crises, par exemple des guerres ou des épidémies.

En fait de ruptures, la pandémie de COVID-19 en est toute une. Elle a fait des perdants. Elle fait aussi des gagnants. Nombre d’entrepreneurs en ont tiré de belles occasions d’affaires. Dans l’ensemble, les entreprises canadiennes ont été remarquables de résilience dans un environnement difficile et imprévisible. Selon une enquête de la Banque de développement du Canada, plus de 90 % des PME ayant un chiffre d’affaires annuel d’au moins deux millions de dollars ont déployé des stratégies de réponse spécifiques à la COVID-19 : investissements technologiques, télétravail, ventes en ligne, etc. On a découvert d’innombrables façons de survivre à la pandémie, voire d’en profiter. Je distingue trois grandes stratégies fondamentales, soit trois variants du virus entrepreneurial, si on veut. Ces variants ne sont pas mutuellement exclusifs: l’entrepreneur typique est résolument multitâche.

1 - L'ADAPTATION PONCTUELLE

La phase 1 de la pandémie, au printemps 2020, a fait fermer des pans entiers de l’économie, immobilisant usines, commerces et bureaux. Elle a aussi créé des besoins ponctuels spécifiques, des plus simples aux plus complexes: couvre-visages, équipement de protection individuelle, produits désinfectants, cloisons de plexiglas, respirateurs, et même … des vaccins.

Des centaines d’entreprises de toutes tailles se sont rapidement engouffrées dans ces« fenêtres d’opportunité», depuis les ateliers de couture dans un sous-sol jusqu’aux multinationales pharmaceutiques.

Quelques semaines après le début de la pandémie et après une pénurie d’équipement de protection individuelle, on a eu le choix entre des centaines de modèles de couvre-visages, devenus des accessoires de mode, puis des masques plus sophistiqués comme le N99, de la société Dorma Filtration. Des entrepreneurs de l’industrie du vêtement se sont reconvertis dans la fabrication d’équipement de protection individuelle: la firme SP Apparel, de Granby, a ajouté les blouses chirurgicales à ses gammes traditionnelles d’uniformes de hockey, de baseball et de football. Même CAE, le fabricant de simulateurs de vol, a canalisé son savoir-faire vers la conception et la fabrication de respirateurs artificiels avec, à la clé, formation du personnel de la santé et simulation d’expériences cliniques.

2 - L'ADAPTATION STRATÉGIQUE

Des entrepreneurs se sont adaptés, mais de façon stratégique, sur le temps long. Certaines répercussions de la pandémie seront pérennes. Encore exceptionnel il y a dix-huit mois, le télétravail est devenu banal et est avec nous pour rester: employés et employeurs y trouvent leur compte. Il en va de même pour la téléformation et, plus encore, pour les achats en ligne. La pandémie n’a pas créé de nouvelles façons de faire: elle a été un accélérateur de tendances émergentes.

Beaucoup d’entreprises ont ainsi saisi l’occasion d’accélérer leur transformation ou ont été forcées de le faire. Elles se sont adaptées rapidement à ce nouvel environnement. Des chaînes d’approvisionnement entières se sont transformées. Selon la même enquête de la Banque de développement du Canada, 45 % des PME canadiennes réalisant un chiffre d’affaires annuel de plus de 10 millions de dollars entendent accroître leurs ventes en ligne et leurs investissements en technologie après la pandémie. Des secteurs ont été métamorphosés de façon permanente, notamment le transport et la livraison de marchandises, la conception d’applications de téléconférences et de vente en ligne, la restauration (qu’elle soit gastronomique ou non) et le commerce de détail. Le distributeur alimentaire Metro, par exemple, affirme que la pandémie a accéléré de deux ou trois ans le développement de ses ventes en ligne• Non seulement Metro s’est adapté à court terme, il prévoit aussi ouvrir un magasin exclusivement consacré à la préparation de commandes en ligne.

3 - LA RÉFLEXION STRATÉGIQUE

Toujours dans l’action, les entrepreneurs manquent notoirement de temps pour réfléchir et pour apprendre, particulièrement sur eux-mêmes. Quelle est leur raison d’être? Qui sont leurs clients? Quel est leur style de gestion? Leur offre de produits et de services est-elle optimale? Qu’en est-il de leurs procédés? Des entrepreneurs, particulièrement dans des entreprises de plus petite taille, ont choisi de profiter de leur ralentissement forcé pour faire une remise en question stratégique. Tout en cherchant à assurer la survie à court terme de leur entreprise (notamment grâce aux programmes gouvernementaux), ils ont vu dans la pandémie une occasion de mener cette réflexion stratégique qu’ils ne trouvaient jamais le temps de faire auparavant: meilleure connaissance du marché, révision de leurs gammes de produits et de services, évaluation de leurs besoins et des nouvelles possibilités offertes par la technologie, etc. Il est à parier que ceux-là sortiront plus forts de la crise.

C’est dans les ruptures, écrivais-je d’entrée de jeu, que se révèlent les entrepreneurs. La C0VID-19 a donc fourni aux dirigeants une occasion de découvrir les éléments les plus prometteurs de leurs équipes. Après tout, peu importe le secteur d’activité, le talent est l’actif le plus stratégique de toute entreprise. L’entrepreneur type n’y consacre ni le temps ni la réflexion qu’il faudrait.

4 - LA RÉSILIENCE

Toutefois, peu importe le variant stratégique, la pandémie sert une leçon importante à tous les entrepreneurs. Une ou deux fois par génération, la réalité nous rappelle – ou nous apprend – que l’improbable est inévitable. Tôt ou tard, l’improbable se produit. Pour tous les entrepreneurs sans exception, la pandémie a été un rappel cruel que les cygnes noirs existent. Quelle que soit l’entreprise, la résilience est un facteur de production. Toute stratégie d’entreprise doit prendre en compte des scénarios-catastrophes.

L’entrepreneur est tout sauf un salarié, il agit en toute indépendance, il est responsable de ses actes. Il n’est placé sous aucune subordination juridique d’une autre personne. Avec cette liberté d’entreprendre, il peut choisir la sécurité du salariat, et un accompagnement qui puisse lui permettre de mieux appréhender l’avenir : une solution évidente existe celle du portage salarial.

Source : ROBERT DUTTON, professeur associé à HEC Montréal